Martinique : avoir un bébé après un cancer

Avoir un enfant après avoir traversé un cancer, ce n’est pas impossible. Même si les traitements altèrent souvent la fertilité, des solutions de prélèvements existent qui permettent à des femmes de moins de 40 ans, d’espérer pouvoir enfanter après leur cure. Toutes les patientes ne sont pas éligibles à ces programmes, mais désormais, la possibilité est systématiquement envisagée par les équipes de soin en Martinique. Ce n’était pas toujours le cas avant 2017…

« Après ma rémission, j’ai compris que je ne pourrai jamais avoir d’enfant. Après les traitements, j’ai entendu parler des programmes d’oncofertilité, j’en ai parlé à mon cancérologue qui m’avait suivie en Martinique. Il m’a simplement dit qu’il n’avait pas pensé à me le proposer. J’ai beaucoup pleuré à cause de ça », confie Sandra.  Sur notre page facebook, une autre femme raconte : « un ami m’appelle de métropole et me dit que sa copine était dans le même cas que moi et qu’on lui avait sauvegardé des ovules avant la chimio. Lorsque j’ai demandé à l’une des médecins pourquoi on ne me l’avait pas proposé ici, elle m’a juste répondu : « bein vous avez déjà un enfant… »

Les équipes d’Amazones ont ainsi recueilli plusieurs témoignages de jeunes femmes traitées pour des cancers ces dernières années en Martinique, à qui, leurs médecins n’avaient pas parlé des risques pour leur fertilité et des moyens de la préserver.

Enjeu majeur du plan cancer

Officiellement, c’est pourtant un droit. C’est même devenu un enjeu majeur national du plan cancer 2014-2017, dans le but d’améliorer la qualité de vie des jeunes femmes atteintes par un cancer, même si elles sont déjà mamans. La préservation de la fertilité est prévue dans le parcours de soin. Dans certains cas, des ovocytes ou des tissus ovariens peuvent être prélevés, par précaution, avant le cycle des chimios, radiothérapies, hormonothérapies… Si ces traitements entraînent la stérilité, les prélèvements peuvent servir de base à une procréation médicalement assistée, une PMA. L’intérêt pour les patientes est essentiel. Devoir renoncer définitivement à la maternité et aux projets de vie qui vont avec, peut, en effet, être douloureux…

À l’occasion d’octobre rose 2017, nous avons abordé la thématique lors d’une conférence. Pour en discuter, l’association avait invité une spécialiste : Alexandra Benoit, sage-femme coordinatrice de la préservation de la fertilité féminine à l’hôpital Antoine Beclère de Clamart, centre de référence des Hôpitaux de Paris dans ce domaine. Après son séjour, elle constatait « l’inégalité d’accès des patientes de la Martinique » à ce dispositif. « L’information concernant la toxicité des traitements anticancéreux sur la fonction de reproduction et les moyens éventuels de préserver la fertilité doit faire partie intégrante de la prise en charge des femmes atteintes de cancer du sein. Dès le diagnostic, après la consultation d’annonce du cancer, toute femme de moins de 40 ans doit recevoir une information globale ».

Une quinzaine de femmes

Ici, le dossier était porté par le Dr Mehdi Jean-Laurent de la MFME, et il s’est concrétisé avec l’arrivée d’un médecin gynécologue obstétricien formé à l’hôpital Antoine Beclère, le Dr Faycal Zeghari. La recommandation a été mise en oeuvre. « Depuis novembre 2017, en Martinique, chacune des patientes concernées a pu bénéficier d’une consultation spécialisée » assure le Dr. Zeghari. « Au total, cela représente une quinzaine de femmes depuis le début».

Concrètement, après le diagnostic, la question de la préservation de la fertilité est soulevée pour toutes les femmes de moins de 40 ans, lors de la réunion de concertation pluridisciplinaire pendant laquelle les traitements sont décidés. « La première solution passe par une stimulation ovarienne. Les patientes pour lesquelles c’est possible, et qui le souhaitent, sont orientées vers la Guadeloupe, au centre de P.M.A. du C.H.U. de Pointe-à-Pitre » explique le Dr Zerghari. Pour celles qui ne peuvent pas subir cette stimulation à cause du danger qu’elle pourrait représenter pour elles, quand le cancérologue le déconseille, une consultation à l’hôpital Béclère est proposée. À Clamart, les équipes médicales peuvent congeler des ovocytes ou des tissus ovariens, par précaution, avant que les traitements anticancéreux ne commencent.

La venue d’Alexandra Benoit en Martinique coïncidait avec la mutation ici de son ancien collègue le Dr Zerghari, formé à l’oncofertilifé dans le même hôpital de Clamart. Ce lien a facilité la mise en place d’un réseau. « À l’Hôpital Antoine Beclère, nous avons reçu une dizaine de patientes de la Martinique depuis octobre 2017 » précise Alexandra Benoit. « Certaines d’entre elles ont souhaité conserver des ovocytes ».

Plateforme oncofertilité

Le réseau fonctionne, mais pour être plus efficace et pérennisé, la sage-femme estime que « la mise en place d’une plateforme d’oncofertilité en Martinique reste à ce jour indispensable pour corriger l’inégalité d’accès aux soins. La gestion logistique (transport, hébergement…) peut s’avérer compliquée ». Si le cancérologue donne son accord, il faut en effet être disponible immédiatement pour passer 3 à 5 jours à Paris, juste avant sa cure. Même si le voyage est pris en charge par la sécurité sociale, ce n’est pas toujours possible. De plus, cet éloignement allonge les délais alors que certains traitements n’attendent pas…

La mise en place, en Martinique, d’un service dédié à l’oncofertilité, avec un laboratoire équipé comme à Clamart, ce serait le scénario idéal. Cependant, le Dr Zerghari estime qu’« il n’est pas réaliste ou raisonnable d’envisager une structure autonome, au vu du faible nombre de patientes, une quinzaine par an ». Ces techniques demandent du matériel et un savoir-faire pointu, elles sont encore dans le domaine de la recherche. Elles sont coûteuses et on connaît la situation financière du CHUM… Pour que les martiniquaises aient les mêmes chances de devenir mères après un cancer, Le Dr Zerghari plaide plutôt pour « la mise en place d’un réseau local efficace, une plateforme en lien avec les centres référents ».

Pour l’instant, le réseau fonctionne avec l’hôpital Antoine Beclère de Paris et le centre de PMA de la Guadeloupe fonctionne grâce à la bonne volonté et la mobilisation des équipes.

Article Laure Martin Hernandez