Sein-Éros, priez pour nous

S’il y a un sujet qui passe à la trappe quand on parle cancer, c’est bien celui de la sexualité. Malaise pour en parler à son médecin, non-dit dans le dialogue de couple, difficulté à se confier aux copines, tabou classique de notre société du « j’en dis plus que j’en fais »…Le sexe : ce thème si souvent abordé mais rarement en profondeur ! Alors imaginez quand un organe hautement sexualisé comme le sein est mordu par un vilain crabe qui renverse tout sur son passage. Il ne nous reste plus qu’à implorer Sein-Éros (mais si le dieu des Amazones, vous savez !) pour nous aider à y voir plus clair et sans honte !

Quelles conséquences a la maladie sur l’équilibre de couple ? Comment aimer et être aimÉe malgré cette épreuve? Quelle place pour la sexualité dans le parcours santé? Est-ce que Doudou va flipper en touchant ma prothèse ? Quand on est une femme et qu’on a une partenaire : que représentent ses seins bien portants face aux nôtres opérés ? Des questions que l’on chuchote ou que l’on n’ose même pas poser, et qui sont pourtant primordiales pour rester du côté de la vie, de l’espoir, et se préparer à l’après cancer.

Un diagnostic de cancer c’est du stress à l’état pur, qui peut sérieusement en perturber plus d’une ainsi que son/sa partenaire ou dans le cas d’une personne seule, ébranler ses perspectives d’avenir. Cela passe par tous les aspects de la vie et notamment la sexualité avant, pendant et après. Pour les femmes et dans la société en général, les seins sont une zone érogène symbolique et physiologique, qui peut être fortement investie sexuellement. Les Amazones peuvent alors se sentir très atteintes dans leur féminité, et leur capacité à se sentir sexuellement attirantes.

Personnellement, après avoir annoncé la nouvelle de mon cancer à mon compagnon nous nous sommes lancés dans la bataille sans casque ni genouillère et sans prendre le temps de parler de ce que tout cela ferait à nos sensibilités. Ne parlons même pas de nos sensualités.

La première opération passée, nous sommes rentrés et lui qui voulait tant me prouver que son désir était intact, s’est lancé dans une exploration quasi chirurgicale de mon clitoris. Je sortais d’une anesthésie générale, cela faisait dix jours que je savais que j’étais malade, nous étions dans la chambre d’amis d’une copine (parce que c’est plus drôle d’avoir un cancer quand on vient de faire son état des lieux et qu’on a prévu de changer de pays hein !!!) et j’avais un peu trop de choses à assimiler pour penser au sexe. Conclusion : je lui ai (trop vivement peut-être) reproché son empressement et lui s’est refermé comme une huître. Maladresse bilatérale !

Je n’avais pas le temps de trop cogiter sur le sujet, il y avait tant d’autres choses à faire, à gérer, à digérer. Le temps ! Cet ennemi n°1 de la course contre la maladie ! Car il faut faire vite. Devancer les cellules cancéreuses, préserver les ovocytes avant la chimio, opérer rapidement. Et dans tout cet empressement, on oublie l’entourage pour lequel ce n’est pas simple non plus. Il faut avaler tout ça, suivre le rythme, comprendre ce que sa compagne n’a même pas encore fini de réaliser elle-même, savoir par l’opération du sein-esprit (oui oui elle était facile celle-là) quand il faut la toucher, si il faut lui dire qu’elle est belle quand même, si elle est d’humeur ou pas etc. Tout un tas de questions que l’autre doit résoudre souvent SeulE, parce que c’est rarement le moment pour tout ça !

La maladie provoque également des questions que l’on n’avait pas encore décidé de se poser ; comme la capacité et la volonté ou pas de faire des enfants. En effet, aussitôt l’opération terminée, il m’a fallu passer à l’étape de la préservation de la fertilité .

En résumé : mettre mes petits œufs au congélo pour plus tard ! Une épreuve que l’on vit à deux ou seule et qui peut parfois virer à la crise existentielle. Grand 8 émotionnel assuré !

D’abord, on se retrouve avec un sein en moins ou alors bien amoché, et par conséquent pour certaines une libido quasi sous-terraine. Parce qu’on ne veut pas regarder son sein. Parce qu’on a mal. Parce qu’on a peur de ne plus être désirée. Parce qu’on se demande si on aime vraiment se faire presser le sein comme un citron (ou comme une mammo) quand l’autre est excité-e. Parce qu’on ne sait plus où on en est.

Puis, à peine le temps de s’occuper de la fertilité, qu’il faut déjà se rendre à la case chimio (ce n’est pas toujours dans cet ordre-là pour info). Et là, rebelote : nouveau choc pour le corps et la sensualité. Perte des cheveux et de toute la pilosité corporelle. Personnellement j’ai eu du mal avec ce corps lisse comme un oeuf et je fulminais que mes copines me balancent: au moins t’as pas besoin de t’épiler pendant quelques mois, trop cool ! Non, mais euh, moi je l’aimais bien ce joli Mont de Vénus duveteux.

Et il n’y a pas que les poils ! Perturbation de l’équilibre hormonal entraînant des symptômes de ménopause précoce: bouffées de chaleur, vaginisme, transpiration excessive, sécheresse vaginale… En bref : tétons tétanisés voire disparus, minou douloureux, contractions pelviennes, articulations à la traîne, désir en berne, désa-corps avec son miroir… le combo anti-plaisir quoi.

Chacune réagit comme elle peut car les effets du cancer du sein sur la sexualité dépendent à la fois des traitements, de la sévérité de la maladie et de la relation à l’autre et à la sexualité avant. Il n’y a pas de modèle, ni de solution miracle. Désolée les filles !

C’est souvent l’après-cancer qui ramène à la réalité du corps sensuel, car pendant les traitements on reste généralement concentré sur les soins, la guérison, préserver un équilibre fragilisé. Ainsi, sur mon chemin vers la santé, l’acte sexuel ne m’a pas manqué plus que ça. En revanche deux ans plus tard, la diminution de ma libido ou plutôt sa versatilité pose un vrai problème à l’hédoniste que je suis. Je ne contrôle plus rien. Le choc psychologique et une sorte d’incertitude de l’avenir, qui plane encore un an plus tard (conséquences des traitements, peur de la récidive…) perturbent notre intimité. Alors on suit le flow : quand ça passe, c’est génial, et quand ça passe pas eh bien on dort, ou on innove et on fait jouer nos imaginations et ça peut avoir du bon en fait. Ne limitons pas la sexualité strictement aux relations sexuelles, car elle intègre aussi la stimulation des sens, la tendresse et l’attention de l’autre sur soi. La maladie peut affecter une sexualité sans pour autant altérer la capacité à ressentir du plaisir sexuel à deux…ou en solo. Hourra !

Néanmoins, je ne vais pas vous mentir : parfois cela m’attriste que le sexe soit devenu moins central à la cohésion de mon couple, parce que le plaisir j’aime ça. Mais au final, soyons honnêtes : la lutte contre la maladie prend beaucoup d’énergie et préférer mettre sa sexualité entre parenthèses est tout à fait compréhensible. Et si Doudou le prend bien, c’est jackpot !

Un cancer c’est un grand chambardement entraînant des changements qui seront temporaires, très longs voire définitifs. Mais rassurez-vous, une vie intime et sexuelle est envisageable, oui ! Une fois le statut de patiente perdu, se retrouver tout simplement femme facilite le retour à une certaine sensualité. Mais on y va doucement hein ! Le maintien ou la reprise d’une sexualité nécessite de respecter le temps nécessaire à chacun de retrouver ses repères et de pouvoir rester attentif à l’autre. Le dialogue est fondamental : en ayant connaissance de vos inquiétudes ou de votre embarras, votre partenaire peut aussi vous rassurer et vous aider à dédramatiser vos réactions face à la diminution de votre désir sexuel ou votre peur de ne plus être désirable à ses yeux. Spoiler alert : ça prend du temps ! La patience ne fait-elle pas office de BFF depuis le début de ce cheminement après tout ?

Je n’aime pas vraiment associer cancer et bataille, mais il est vrai que l’on se retrouve souvent avec un corps qui ressemble à une zone dévastée, sur laquelle nombres de femmes n’osent pas poser le regard. Une région délaissée par nos propres mains et celles de notre partenaire. Un terrain vague, en friche, peuplé parfois par la solitude du sein restant. Une cicatrice qui rappelle la douleur.

Mais comme pour le verre à moitié vide, il suffit (ok ok c’est pas simple, mais pas impossible non plus !) d’un changement de perspective pour poser un regard neuf sur ce corps et le considérer comme un jardin, un work in progress, un champ des possibles ou semer gratitude et intentions pour l’avenir. Une zone de paix avec laquelle faire connaissance. Un espace de désir et de plaisir érigé tel un royaume : le nôtre. À nous ! Ta nou ! Une page blanche pour écrire peut-être une nouvelle érotique, ou un érotisme neuf, qui sait ?

Billet de Simone Lagrand I Illustrations Kay