Comment la crise sanitaire du COVID s’est-elle déroulée pour les femmes atteintes de cancers ? Comment ont-elles vécu les huit semaines de confinement, mais aussi la crainte du virus et dans certains cas, la reprogrammation de leurs soins ? Rachel Ferrere, oncopsychologue, a suivi une quinzaine de femmes en Martinique pendant le confinement. Elle a accepté de livrer ses observations au Mag des Amazones. D’une manière générale, est-ce que vous diriez que cette période très particulière a été difficile pour les femmes touchées par des cancers ?
Rachel Ferrer : Finalement, pas tant que ça ou plutôt, ça dépend desquelles. Pour celles qui étaient déjà engagées dans un parcours de soins, le confinement a même pu fonctionner comme une protection, comme une bulle, contre le regard des autres notamment. D’une manière générale, le moment des traitements est souvent vécu comme une parenthèse, un temps suspendu. Là, c’est comme si le reste du monde se mettait au diapason de cet entre-deux, de cette suspension du temps. Paradoxalement, pour elles, qui étaient déjà en cours de traitement, ça a pu être positif. Certaines se sont saisies de ce temps, encore plus, pour travailler sur elles. En revanche, cette période du confinement a été très anxiogène pour les femmes qui venaient tout juste d’apprendre qu’elles avaient un cancer. L’organisation médicale et la planification des soins ont été modifiées. Certaines l’ont mal vécu. Pour une fois qu’elles avaient besoin de mobiliser les soignants, il était compliqué de le faire. Ça a généré un grand stress organisationnel.
Et la peur du virus lui-même ? Était-elle très présente ?
Rachel Ferrer : Je dirais qu’elle est restée pendant deux semaines, pas tellement plus. J’étais moi-même un peu étonnée puisqu’à certains moments des traitements, ces femmes peuvent être immunodéprimées, plus vulnérables, à risque face aux virus. Mais je pense que cette inquiétude s’est ensuite réorientée vers le cancer.
Mais beaucoup ont tenu bon, notamment grâce aux ateliers à distance, comme les Amazones en proposaient. Ça leur a permis de maintenir un lien social choisi, de rester dans la dynamique de prendre soin de soi, et aussi de rythmer le temps. Les ateliers venaient structurer la semaine, la journée et ils se sont révélés très utiles.
Après le confinement, il a fallu sortir. Comment ont-elles vécu cela ?
Rachel Ferrere : c’est le fameux syndrome de la cabane, et c’est vrai qu’il s’est produit pour quelques-unes. Elles ont pu ressentir une crainte de sortir à nouveau après avoir été longtemps préservées de l’extérieur et des relations sociales. C’était se re-confronter à l’autre, perçu comme un danger à cause de son regard, par ce qu’il peut me renvoyer sur moi. Plusieurs femmes m’ont dit qu’elles trouvaient les gens plus agressifs après le confinement. Je n’ai pas les moyens de le mesurer, mais c’est une impression qui est partagée par plusieurs femmes atteintes de cancer. Elles disent que les regards portés sur elles sont plus durs ou alors, pour elles, ils sont plus difficiles à supporter après cette phase du confinement…
Propos recueillis par Laure Martin Hernandez