Tatouage et cancer : la cicatrice que je choisis !

Le tatouage, utilisé dans différentes cultures, est à l’origine, considéré comme une forme d’appartenance à un groupe, une ethnie ou un clan. Au Japon, les Yakuza utilisaient les tatouages comme signe de reconnaissance, cette étape constituait une forme de test, de courage et de résistance à la douleur.

En Polynésie, le tatouage permettait d’exprimer une identité, une personnalité, son rang social. La partie du corps tatouée avait tout autant d’importance et de symbolique que les motifs et le dessin lui même. Bien loin d’être toléré, il a souvent été banni par les instances religieuses principalement, le corps étant pour le christianisme par exemple, « le temple de Dieu », donc sacré.

Aujourd’hui, la tendance s’est généralisée, elle répond ainsi à un besoin de chacun d’exprimer, de sacraliser, de graver un message à vie sur son corps. C’est parfois une démarche de rébellion, d’affirmation. De plus en plus de femmes ayant eu une mastectomie ressentent le besoin de se faire tatouer de magnifiques dessins sur leurs cicatrices. Nous avons rencontré des femmes d’Outre Mer qui ont choisi le tatouage pour dire oui à la vie!

Jessica, « La femme que je suis, c’est grâce au cancer »

Dès qu’on lui a parlé de mastectomie, Jessica a pensé au tatouage. Sa reconstruction par le grand dorsal lui impose une cicatrice dans le dos qu’elle a souhaité recouvrir par un tatouage particulier : le phoenix. Elle est aujourd’hui vivante! Elle renaît de ses cendres, cette image symbolique la réconforte dans le fait qu’elle s’octroye une deuxième vie, une renaissance…

Elle choisit de se faire tatouer un dessin de rose sur la poitrine : un clin d’œil à Octobre Rose, au cancer du sein… La plume du phoenix, quand à elle, lui rappelle que la cicatrice est là… Jessica ne cherche pas à oublier ce par quoi elle est passée. Elle transforme toutes les expériences vécues, les bonnes et les mauvaises et construit la femme qu’elle est aujourd’hui: « et cette femme, j’en suis fière! », s’exclame la ravissante pile électrique en secouant ses belles locks.

À la question « que représentent ces tatouages pour toi? », elle confie encore :  « Pour moi, c’est un camouflage. Avant j’étais quelconque, tandis qu’avec les tatouages je me sens plus jeune, plus désirable, plus sexy… C’est un peu un FUCK à la maladie !  Les cicatrices n’étaient pas naturelles : Je n’ai pas à assumer le fait d’avoir été une cancéreuse. Je veux être une femme comme les autres. Avec mes tatouages, je suis une personne normale, comme tout le monde, je ne fais plus pitié ».

Cette volonté d’agir pour mieux se sentir femme, bon nombre de femmes en ressente le besoin, comme un désir de « reprendre la main » face à une détresse, à un sentiment d’avoir été amputé d’un sein, certes, mais aussi d’une partie non négligeable de leur féminité, de leur sensualité. Se sentir moins désirable des suites d’une mastectomie semble comme une fatalité.« Je rajeunis avec le temps ! Mes tatouages : c’est mon combat, c’est mon histoire… je suis plus jeune et plus forte aujourd’hui que je ne l’étais hier ».

Jessica les assume complètement, elle considère que sa cicatrice est plus jolie avec le tatouage. Elle se sent mieux. Elle ose se montrer, elle assume ses nouvelles courbes et semble sublimée par cette beauté qu’elle ignorait en elle. Plutôt que de subir les traces de la maladie avec le tatouage, Jessica sublime les cicatrices, les esthétise. « J’ai envie de vivre maintenant. J’en suis fière. Sans maladie, je n’aurais jamais été une femme tatouée, je serais restée naturelle. Aujourd’hui, je me sens moi ».

Le tatouage est une solution pour bien des femmes malades ou pas. Cet acte, parfois douloureux, parfois pas, marque pour beaucoup, un désir indélébile de passer à une autre étape. C’est comme graver dans la chair ce besoin d’être, à jamais une autre.

Nathalie, « C’est mon jardin fleuri à moi! »

Avec une double mastectomies, Nathalie, jeune quarantenaire, fondatrice de Ma Tété en Martinique, ne se voyait pas sans reconstruction. Si elle a  souhaité à nouveau avoir des seins, en revanche, elle ne souhaitait pas avoir des mamelons, ni des aréoles. Décidée, Nathalie avait une idée bien claire de ce qu’elle voulait dès le départ : « donner vie à autre chose et surtout rendre tout cela joli à ses yeux » explique t-elle. Adepte du tatouage la jeune femme a pensé tout de suite à en faire un sur toute sa poitrine.

« Dès l’annonce des ablations, j’ai beaucoup regardé sur les réseaux sociaux ce qui se faisait en la matière et je me suis rendue compte que c’était très fréquent aux Etats-Unis, par exemple avec de véritables oeuvres d’art parfois. J’ai contacté une dermographe en maquillage permanent sous les conseils d’un photographe et pendant des mois nous avons fait des tests, travaillé sur le dessin et à la symbolique que je voulais y mettre. J’étais très à l’aise avec elle, elle a été hyper professionnelle. Puis le jour J est arrivé et après 3h20 minutes (3 heures de douceur et 20 minutes de douleur), un grand moment de satisfaction! Encore mieux que ce que j’imaginais et surtout bye bye les cicatrices. Je ne les vois plus. C’est mon jardin fleuri à moi! »

Chantal, « Ce tatouage va me rappeler celle que je dois être »

Chantal, elle, considère que la démarche de se tatouer lui permettra d’ancrer qui elle est foncièrement, certaines épreuves de la vie lui en ont fait douter… « Ce n’est pas un nouveau commencement mais ce tatouage va me rappeler celle que je dois être ».

En France, une association de tatoueuses, Sœurs d’Encre by Rose Tattoo,  a monté une chaine de solidarité permettant aux femmes marquées par les cicatrices de la maladie, d’accéder aux tatouages auprès de professionnels engagés et formés, entourés par une équipe médicale. Elles prodiguent des conseils sur leur site et présentent leurs dernières réalisations. Pourquoi pas des idées tattoos pour celles d’entre vous qui aimeraient passer le pas!

Pour ma part, ce jour du 17/12/2014 où je me fais tatouer mon histoire, mon aventure, mon épisode cancer sur le dos, durant les 2 heures passées sur la table, depuis le 1er contact entre l’aiguille et ma peau, je me suis remémorée chronologiquement tous les moments depuis la biopsie jusqu’à ce jour… Mes joies, mes pleurs, les larmes de mes proches, leurs sourires, leurs espoirs… mes peurs, mes doutes, mes ressentis, mes victoires, mes défis, mes projets.

Cette synergie entre mon tatoueur et mon corps déterminait surement le choix des motifs qu’il gravait progressivement. Je n’ai rien senti (ou presque !), j’étais dans ma bulle, hypnotisée, j’étais hors de ma chair, telle une spectatrice qui cristallise l’instant, qui reprend possession de son corps.

Quelque chose en nous a changé… Se tatouer, c’est reconnaître, regarder, accepter puis bonifier une expérience, la transformer, l’enjoliver. Comme pour ne pas oublier, pour nous rappeler, les ressources déployées pour se sortir d’une passe difficile ou pour ancrer un événement mémorable de notre vie. C’est le moment où, par choix cette fois, plus rien ne sera comme avant.« C’est la cicatrice que Je choisis, à jamais ».

Petit conseil d’Amazone : La relation avec votre tatoueur(euse) est capitale. Cette personne doit vous correspondre. Vous devez vous sentir à l’aise, libre et détendue. Et n’oubliez pas: se faire tatouer, c’est inscrire sa peau à vie.

Article Mélanie Bonnialy I © Mario Gilbert