Cancer : ni une guerrière, ni une survivante ni une héroïne

Ça c’est un titre qui claque non ? Alors qu’on est dans une société hyper médiatisée, avec notamment les réseaux sociaux, qui nous valorise à condition bien sûr qu’on soit super quelque chose,  je  dis comme ça, bam : « Na merci, mais le super c’est pas pour moi. J’ai piscine ». 

Héroïne, battante, killeuse, survivante, voici quelques uns des adjectifs que l’on retrouve souvent dans le champs lexical de la cancérie pour désigner les femmes touchées par un cancer. Le seul hic, c’est que très souvent, nous nous sentons à l’étroit, parfois blessées, voir coupables de ne pas être à la hauteur de ces grandes destinées héroïques.

Nous sommes certainement un peu tout ça à un moment, jamais tout le temps, et parfois même pas du tout. Et si on faisait le tour de ces grands maux?

No War – Only Love

D’abord, t’es en guerre. Si, si ! Si tu le savais pas je te l’apprends hein. Les bracelets rose bonbon « fight like a girl », ou « against cancer »  qui fleurissent pendant Octobre Rose sont là pour te le rappeler, quand ce sont pas tes proches. Une journaliste américaine, Xéni Jardin, guérie d’un cancer réagissait sur la question dans un article sur CNN :« Les étrangers et les amis qui m’aimaient me disaient ‘Tu vas battre ce truc.’ ‘Tu vas gagner cette bataille’ ‘Le cancer n’est pas aussi fort que toi’. Je sais qu’ils ne pensaient pas à mal. Comme eux, j’ai grandi en voyant le cancer comme un combat, quelque chose qu’on peut ‘battre’, si on a assez de ‘force’ en soi. »

« Le cancer, je l’ai vite appris, est un pétage de plombs de mes propres cellules. Soudainement tout le champ lexical devient donc confus. Suis-je l’armée envahissante ou le champ de bataille ? Suis-je le soldat ou un otage que le soldat essaye de libérer ? Suis-je tout cela à la fois ? Et si la chimiothérapie, la radiothérapie, la chirurgie et les médicaments ne fonctionnent pas, et que je meurs, les gens seront-ils déçus par moi parce que je ne me serais pas ‘battue’ assez fort ? Pour moi, le cancer n’a jamais été une guerre. Le cancer n’était pas quelque chose que ‘j’avais’, mais un processus par lequel mon corps passait ».

En plus, la guerre ça demande de l’énergie. Après le combo chimio + radio, avoues que ton énergie t’as plutôt envie de la garder pour toi plutôt que de faire la guerre… À qui déjà ? Au cancer… Qui est en toi… Donc à toi même ? Un peu bizarre le concept… Définitivement, je préfère le love.

De Xéna la Guerrière tu passes à la Super Héroïne

Plus tu auras eu des épreuves plus tu seras trop, mais trop courageuse… Et donc une héroïne. Alors peut être que certain.e.s sont ok avec ça…Mais moi, ça me gêne. En quoi suis je plus méritante que le mec qui est en fauteuil roulant, ou que quelqu’un.e ayant n’importe quelle autre maladie lourde ?

En fait, en vrai, les gars, on a pas trop eu le choix. T’es malade, tu prends les médicaments et tu avances. Je ne sais pas comment expliquer cela, ce n’est pas de l’héroïsme… C’est faire ce qu’il faut pour rester en vie. Et ça, on l’a tous cet instinct.

Dans le livre « Vivre après un cancer, favoriser le soin de soi », les auteur.e.s, Jean Christophe Mino, chercheur à Curie et Céline Lefèvre, maître de Conférence en Philosophie concluent après avoir interrogé pendant deux ans une vingtaine de femmes. « La maladie grave met à l’épreuve un équilibre vital (…) constitué par les rapports à soi, aux autres, au corps, au temps, etc. (…) La vie se nourrit de l’expérience de la maladie ». D’où le malaise de certaines femmes confrontées à deux écueils : soit une héroïsation – dans laquelle elles ne se reconnaissent pas – soit une injonction à tourner la page. « Pour notre entourage, c’est fini, on est guéries », remarque l’une des femmes interrogées dans l’enquête.

Et c’est là que sans crier gare, arrive le mot que j’honnis par dessus tous les autres : sur-vi-vante ! Brrrrrrr ! Rien que de l’écrire, ça me…brrr

Survivante : c’est quoi, c’est qui ?

C’est un truc qui est en vogue aux US, « Survivor ». Peut être que la traduction française s’est loupée ? Mais en tout cas moi, quand j’entends « survivants » je vois Michael Jackson dans Thriller et le pas qu’on a tous fait un peu éméché.e.s en boite. Bon, que dit le Larousse : « Qui survit à quelqu’un : L’héritage va au conjoint survivant. Qui est resté en vie après un événement ayant fait des victimes. Qui survit à une époque révolue en restant attaché à ses conceptions. »

Pour les cancéreux le terme survivant est donc usurpé puisque le malade ne survit à personne à l’issue d’un événement ayant fait des victimes. « Il ne survit pas à un proche même si un cancer c’est très personnel (sic) et il ne survit pas plus à une époque. ». Voilà, voilà… Encore un petit peu d’infos ? En lisant un extrait de ma bible « Femmes qui courent avec les loups » de Clarissa Pinkola Estès, j’ai enfin compris pourquoi j’étais pas à l’aise avec ce mot (bon, je préviens l’extrait du livre est un peu long mais ça me paraît tellement essentiel) :

 « Si nous ne dépassons pas l’étape de la survie, nous nous limitons, nous n’utilisons pas la moitié de notre énergie, de notre pouvoir sur le monde. Notre fierté d’être des survivantes peut constituer un obstacle à notre développement créatif car nous nous contentons de ce statut, de cette marque distinctive.

Il est souhaitable de ne pas considérer la survie comme la pièce maîtresse d’une existence. C’est une médaille durement gagnée, certes, mais une médaille parmi d’autres. Les êtres humains méritent d’avoir des récompenses et de beaux souvenirs pour avoir réussi à vivre leur vraie vie, à triompher. Une fois la menace écartée, néanmoins, le fait de nous qualifier avec des termes appartenant aux périodes les plus terribles de notre vie est un piège qu’il faut éviter. Cela peut créer un état d’esprit limité. Il est mauvais de fonder l’identité de l’âme sur les seuls hauts faits, défaites et victoires des mauvais jours. Avoir survécu peut endurcir une femme, mais à un moment, le fait de s’y attacher de manière exclusive finit par inhiber toute nouvelle évolution.

Quand nous voyons une femme mettre l’accent sur son identité de survivante, même si elle lui est désormais inutile, la tâche qui nous attend est claire : il faut faire relâcher son étreinte sur l’archétype du survivant, ou rien d’autre ne pourra pousser sur ses branches ».

En somme ni une guerrière, ni une héroïne, ni une survivante…Je suis juste, Alex et c’est déjà pas mal !

Illu © Sophie Spéciale