Hommage à Virginie Bordes

Chère Virginie 

Comme à chaque fois que les écluses de la douleur envahissent mes yeux, il faut que j’écrive.

Je vous écrirai donc, chère Docteure.  

C’était il y a 6 ans. J’ai débarqué dans ce grand centre de cancérologie de l’Ouest. Il y avait du soleil au dehors et le grand hall moderne et chaleureux était inondé de lumière. J’ai pris ça comme un signe. Des semaines que je passais de couloirs gris en couloirs tristes. Des jours que tous mes sens étaient en alerte. Des mois que mon corps fabriquait des cellules qui lui faisaient du mal. 

J’arrivais donc à Nantes, comme un titiri sans famille, comme un chien dans une yole, poussée je ne sais trop comment vers quel indice, quel appel mystérieux qui me dirait: « c’est ici. Tu es bien là à ta place ». J’arrivais dans ce grand hall. Du soleil donc, indice numéro un. Et puis, tout autour, un grand espace vert… Il me semble que j’entends encore les oiseaux qui gazouillaient il y a 6 ans. Indice deux, ils avaient l’air de me souffler que j’étais arrivée au bout de mon périple. Qu’ici ma boussole pourrait se calmer, que mes sens pourraient cesser de me réveiller à trois heures du matin, les yeux déjà remplis des larmes que j’avais pleurées dans mon sommeil. 

Quand je levais le regard d’instinct vers l’étage. Vous étiez là. Dans votre blouse blanche, penchée par dessus la rambarde, les yeux verts rieurs, la mine réjouie: « Ha vous voilà! La Martinique est arrivée. Montez c’est au deuxième ». Quel accueil! Indice numéro trois: vous m’attendiez. 

Mes mains qui se tordent dans l’ascenseur, les numéros qui défilent, une bouffée d’oxygène, mais déjà le sentiment que cela va mieux. « Elle a l’air chouette, hein dis? ». Et qu’est-ce qu’elle l’était, chouette, ce petit bout de femme. Virginie Bordes, Docteure en chirurgie oncologique à l’ICO de René Gauducheau. Comme vous l’êtes, chouette, Virginie. 

1m50 de passion, de dévouement, de force…

1m50, elle aimait dire en se moquant d’elle même. Je dirais quand même Docteure, plus d1m50! Plus d’1m50 de passion, de dévouement, de force et d’abnégation. Avec elle, on entre dans la mêlée. On réfléchit pendant qu’on avance parce que de toute façon, il n’y a qu’une chose à faire: avancer! Retourner ce putain de crabe. En faire une sauce pour Pâques. En faire une bouchée. Point à la ligne. 

Alors on a avancé ensemble. Vite, sans effort quand ça allait. À quatre pattes, le ventre à l’envers quand ça n’allait pas. « Vous appelez n’importe quand, n’importe où, vous envoyez un email pour plus d’informations, un conseil, une inquiétude. » vous avez dit. Et moi j’ai pensé : « Beu non, je vais pas l’embêter quand même. Un si grand centre a déjà tant de patientes ». N’empêche que c’était rassurant. 

Et quand je ne fus plus votre patiente, parceque, le crabe, il ne choisit pas, et qu’il s’est invité chez vous, nous sommes devenues complices. On ne parlait pas de nos maux, presque jamais. Moi: oui j’avoue un peu. Vous un roc : jamais, jamais. 

Un jour j’ai évoqué avec vous le Projet Amazones, vous avez été emballée! Oui l’ICO allait m’aider. De quoi avais-je besoin? Direct dans la mêlée Virginie. Elle était comme ça. C’est ainsi qu’en 2017, bénévole, avec notre Fabienne, kiné et amie nous avons lancé les premières formations des kinés aux techniques d’accompagnement de cancer du sein. En 2019, la formation est revenue « encore mieux qu’en 2017 » nous a confié une kinésithérapeute martiniquaise. Encore une fois grâce à vous avec Fabienne, parce que vous y croyiez. Vous croyiez en moi, en nous.  Aujourd’hui en Martinique, nous avons la chance d’avoir un réseau d’une quarantaine de kinés formés. Je crois que sur une région de 360 000 habitants, c’est un record. 

Je ne sais plus trop quoi dire. Vous étiez là. Vous n’êtes plus là. Si vous saviez combien c’est important ce que vous m’avez donné, insufflé il y a 6 ans… Vous m’avez offert l’espoir. L’espoir que demain était à porté de coeur. L’espoir que les rêves étaient faits pour être réalisés. Merci mon Docteur adoré. Merci d’avoir sauvé ma vie, en m’offrant l’espoir. Que votre chemin vers les étoiles soit doux. Belya.