Aristide Development

En cette journée internationale du lymphome, nous sommes allés à la rencontre de Julie Aristide. Julie c’est une nana pas comme les autres. Quand nous l’avons rencontré avec la journaliste Anne Elisabeth et moi même en Guadeloupe, son île natale… Julie et moi, on s’est reconnue. Ça s’explique pas. Ça se lit dans un sourire, un regard, un geste… Julie est guadeloupéenne, violoniste du groupe SOFT, son regard vous transperce et vous raconte mille histoires. Ses longs cheveux noirs ondulés tombant en cascade sur ses épaules (« je ne les ai plus coupé depuis la fin de mon traitement » dit Julie dans un sourire songeur) témoignent à peine du parcours très dur qu’a vécu cette jeune femme de 39 ans. Il y a 4 ans, Julie apprend qu’elle est en phase 4 de la maladie de Hodgkin, un cancer du système lymphatique… À cette même période, elle se lance corps et âme dans une autre cause: la pétition du cyclotron en Guadeloupe. L’objectif, doter la Guadeloupe de cet outil important dans la détection de cancers. Un défi qu’elle mènera de front et à terme tout en luttant pour sa vie. Voici l’histoire de Julie recueillie par Anne Elizabeth Artsen. 

« Le fait de ne pas me battre que pour moi à ce moment là, m’a donné une force supplémentaire, ça m’a empêché de me refermer sur moi même » 

Parles nous un peu de toi, qui es tu, Julie? 

Musicienne, violoniste, c’est comme ça que je me définis et que je me définirai toujours. C’est un choix que j’ai fait à l’âge de 6 ans, celui d’être artiste et de faire de la musique. Même si aujourd’hui ça ne fait plus partie prépondérante de ma vie, je reste artiste, violoniste (notamment du groupe SOFT depuis 2004), et je suis depuis peu responsable administrative du CIMGUA. Née en Guadeloupe, j’ai grandi en Guadeloupe, exilée comme beaucoup à un moment de ma vie, j’ai choisi depuis plusieurs années de rentrer chez moi…

Quand as tu appris que tu avais un lymphome ? 

Au moment de l’annonce, j’étais déjà hospitalisée depuis 4 jours. Les médecins recherchaient ce que j’avais. J’ai appris cette nouvelle sans trop de délicatesse mais elle est arrivée comme une libération. Je savais enfin ce que j’avais et cela expliquait énormément de choses, que les médecins qui me suivaient ne trouvaient pas. Il y a eu une espèce de soulagement. Je n’ai donc pas du tout vécu cela comme un drame, je n’ai pas eu le sentiment de perdre pied.

« L’annonce m’a mise en stand-by philosophique et spirituel» 

J’avais alors 34 ans, je n’ai pris le temps de me poser aucune question… « Pourquoi moi?», « comment ça m’arrive à moi? » etc… Je me suis dit : « il n’y a qu’une attitude à avoir, me concentrer sur le traitement et les épreuves à venir ». J’ai commencé le traitement 3 semaines après l’annonce du cancer. Je me suis documentée pour tout savoir et tout comprendre de ma maladie et aussi pour me préparer psychologiquement à ce qui pouvait m’arriver. C’était alors de la tête au corps ! J’ai mis ma tête, mon cerveau et mes émotions à disposition de mon corps, jusqu’à la fin du traitement. Et c’est après coup, que j’ai eu « le contre coup » justement de l’annonce et de tout ce que je venais de traverser.

La musique ne t’a jamais vraiment quitté? 

Absolument! La musique m’a particulièrement aidé. J’ai fait mon premier concert 2 mois après ma 1ère chimio. Traditionnellement à droite, on m’avait posé mon cathéter du côté gauche et il se trouve qu’en tant que violoniste, le violon est posé à gauche. Un casse tête et une frustration pour moi.

J’ai donc eu une grosse frustration au début, mon corps a eu un peu de mal à s’habituer à ce corps étranger. J’avais beaucoup de mal à poser mon violon sans qu’il ne repose sur ce cathéter encore sensible. 2 mois après ma première chimio, j’ai eu l’opportunité de jouer avec mon groupe SOFT, et je me suis dit, « ça fait 2 mois que je n’ai pas touché à mon violon mais j’y vais ». Cela a été un plaisir immense, et ce malgré la fatigue due aux chimios.

As-tu été entourée?

C’est hyper important, et il est vrai qu’en ce qui me concerne, j’ai une famille qui est très proche de moi, des parents, un frère, une soeur, des ami.e.s… J’ai un cercle d’ami.e.s qui est aussi un cercle familial, et j’ai eu un très grand soutien. Il est vrai que on veut aussi protéger nos proches, alors on ne leur dit pas tout non plus…

Et comme j’ai médiatisé ma maladie, j’ai reçu des centaines et des centaines de messages de soutien sur tous les réseaux sociaux, j’étais inondée! Les gens ont été tout le temps avec moi dans ce parcours qui était aussi lié à ce moment là, à la pétition pour le cyclotron. Ça a été un moteur et une force.

Parles nous de ton parcours de soins

J’ai fait le choix de me faire soigner ici, de suivre mes traitements ici, même si, il est vrai que c’est une maladie peu connue. Ma problématique de prise en charge, c’était cette impossibilité de faire ce TEPScan en Guadeloupe, vu que mon état ne permettait pas de voyager, il fallait me stabiliser. J’ai été mise sous corticoïdes pendant 3 semaines ce qui m’a donc empêché de partir et d’avoir ce Tepscan. J’ai du être soignée « à l’aveugle » au vu de mon état (cancer stade 4 avancé). J’ai eu un traitement long et lourd que l’on a pas pu adapter mais j’ai été très bien prise en charge au centre hospitalier de Basse-Terre. Le cancérologue, Dr Benoit, qui est un médecin formidable, dans un service exceptionnel avec des soignants très doux, empathiques, et respectueux, qui font en sorte que chaque patient soit dans les meilleurs conditions pour passer sa chimio.

Je ne voulais pas avoir à gérer un coup de blues, avoir envie de parler à ma famille à n’importe quel moment sans pouvoir le faire. Je savais que tout ce dont j’avais besoin, comme me ressourcer à la rivière ou aller à la plage, c’était ici, en Guadeloupe, que je l’avais déjà

Depuis cette maladie, on peut dire que tu as changé de vie 

Je n’ai pas pu travailler pendant tout mon traitement. À l’époque, j’étais à mon compte, je donnais des cours de violon et j’étais musicienne et je n’ai pas pu assurer mes cours. Je n’étais vraiment pas en état de prendre la voiture, de me déplacer, ni d’être en contact avec des enfants toute la journée, pendant des heures et des heures.J’ai cependant repris très vite les concerts et ça a été salvateur. Aujourd’hui mon rythme de vie a changé, j’ai organisé ma vie différemment. J’ai eu du mal au début d’être moins dans la pratique du violon, je l’ai accepté. On ne peut pas tout maîtriser, la maladie te fait comprendre que ce n’est pas toi qui décide de tout.

Le combat contre la maladie ne veut pas dire que l’on est dans l’opposition. Le combat ne signifie pas que l’on est dans le frontal… Car il ne faut pas oublier que le cancer c’est une maladie qui est en nous même, qui est l’anarchie de nos propres cellules et qu’il faut accepter d’être en phase avec soi même et avec son corps pour aller dans ce combat là. Ce n’est pas un combat d’opposition c’est un combat de « résistance » mais surtout de résilience et c’est un combat pour être en paix aussi, quelque soit l’issue.

Vois- tu la vie différemment désormais ? 

Ah oui, ça a modifié ma façon de voir la vie, avec ce paradoxe, d’être à la fois dans la priorisation et l’urgence! C’est à dire que l’on a plus envie de s’attarder sur des détails, sur des choses futiles. On s’attache à être dans une voie plus directe, on va au plus simple, avec tout de même cette notion d’urgence! Se dire qu’il faut que je vive, je dois vivre. Je ressens également très profondément depuis la fin de mon traitement et l’année qui a suivi, un besoin de lenteur… Je me sens dans ce besoin de dégustation, de sensation, de contemplation et de méditation. Ce besoin de choses qui sont dans la lenteur tout simplement. J’ai ainsi, aussi l’impression d’être plus proche de la sagesse. Et c’est ce paradoxe, mon réel équilibre finalement.

Quel a été ton protocole ?

J’ai eu un protocole qui s’appelle ABVD qui est un protocole mis en place en Italie dans les années 70 et qui a fait ses preuves pour ma maladie donc il est très costaud et j’ai eu le maximum du protocole à savoir 16 séances. J’ai tout eu comme effets secondaires, aphtes, saignements dans la bouche, perte d’ongles, le parcours « classique » de toute chimio…

On en rêve toutes, mais tu as réussi à garder tes cheveux! Really? 

Le cancérologue m’avait dit que je n’aurais plus de cheveux dans les 3 semaines après ma première chimio. J’ai donc coupé mes cheveux en me disant que ça ne servait à rien d’attendre. Je n’ai pas fait de « yul » mais j’ai coupé très court en gardant un petit peu sur le haut, que j’utilisais pour me coiffer, avec un peu de gel.

Je me suis donc préparée à la perte du peu de cheveux qu’il me restait, mes copines et cousines m’ont offert des foulards mais tout ça n’est jamais arrivé. J’ai perdu à peu près la moitié de mes cheveux mais de manière éparpillée. Il m’en restait suffisamment pour ne pas avoir à faire de « yul ». Je n’avais pas de trous, le médecin était très surpris de voir que semaine après semaine, j’avais encore des cheveux sur la tête.

Symboliquement, depuis que j’ai arrêté les traitements alors que j’aimais régulièrement, changer de tête, je n’ai plus coupé mes cheveux. Ça fait donc 3 ans et demi que j’ai fini mes traitements, c’était fin 2014.

Le CIMGUA (cyclotron de Guadeloupe) est terminé. J’ai enlevé mon cathéter, le 25 juillet dernier (2018), donc je pense que mes cheveux vont être coupés prochainement !! Pas aussi court que pendant la maladie mais je pense que oui, je vais de nouveau, changer de coupe bientôt ! (Rires!)

Comment gère t-on les effets secondaires de la chimiothérapie ?  As-tu des trucs et astuces pour celles et ceux qui passent par là ?

J’ai eu des petits remèdes de grands-mères, mais j’ai quand même totalement fait confiance aux médecins pour la gestion des effets secondaires en écoutant leurs recommandations. J’ai pris des anti émétiques pour ne pas vomir car c’était très difficile, je mangeais très peu de choses en période de chimio, de la semoule et de l’eau, rien d’autre, sans condiments.

Pour les cheveux, bain d’huile de karapat sous un foulard! Mon père m’avait ramené une bouteille pure, non filtrée, et ça m’a duré pendant toute ma chimio. Je dormais avec une nuit entière. Cela me faisait comme un masque et le lendemain, petit shampooing léger, sans frotter trop fort, pour ne pas agresser mon cuir chevelu et ce, une fois par semaine. Je pense que ça a renforcé mon cheveu et sauvé ce qui avait survécu, bluffant encore plus mon cancérologue(rires!)

J’ai beaucoup boosté mon système immunitaire :  virapic, spéruline, curcuma, que je continue à prendre quotidiennement.

C’est important de médiatiser cette maladie ? De lever les tabous ?

Je n’avais pas forcément, avant mon cancer, toutes les informations nécessaires même si j’avais déjà perdu des ami(e)s à cause de maladies. J’étais donc déjà concernée et touchée par cela mais j’avais l’impression qu’ici c’était tabou. On ne prononce pas souvent le mot cancer chez nous. Il y a encore des superstitions « ne me parlez pas de cancers vous allez l’attirer dans ma famille ».

Pour beaucoup, c’est une maladie qui emmène la mort mais on oublie que désormais plus de la moitié des malades survivent. Même quand on est du mauvais côté de la barrière comme moi avec mon lymphome en stade critique au départ…Ce n’était pas gagné et pourtant, je suis là aujourd’hui…

Et c’est le message que je voudrais faire passer, pour démystifier la maladie, car je n’ai pas eu honte d’être malade. Je n’ai pas eu l’impression de porter la charge ou la peine de quelque chose, ni d’une injustice, ni de quelque chose que j’aurais mérité ni dans un sens, ni dans l’autre d’ailleurs.

Il y a encore beaucoup de tabous mais beaucoup de choses évoluent vers le positif et pour le coup, je vais aussi justement en profiter pour remercier le « Projet Amazones », parce que je trouve que ce genre de projet amène à parler de la maladie avec bienveillance et douceur, ce dont on a vraiment besoin quand on est malade.

Et voilà! Désormais, il y a des blogs aussi chez moi ! Plus besoin d’aller ailleurs pour avoir des témoignages d’Antilles Guyane… De gens de ma culture et qui me parlent de leurs parcours. Je trouve ça très bien. Alors oui, parlons en avec nos propres mots! Avec simplicité, et faisons en sorte que ça ne soit plus ni un problème, ni une honte, ni un tabou car plus on sera ouvert à cette question, meilleure sera la prise en charge.

La maladie éloigne les gens de vous, le plus souvent par ignorance, alors plus on va informer et en parler plus cette peur diminuera et changera de camp. Encore merci au Projet Amazones!

Comment vas tu aujourd’hui ? 

Aujourd’hui je vais très bien, j’ai juste besoin de prendre quelques jours de vacances, mais physiquement, je vais très bien. J’ai encore un suivi de quelques temps et le fameux suivi annuel toute ma vie mais j’ai 39 ans, beaucoup de perspectives devant moi et je vais bien…

Interview Anne Elizabeth Artsen I  © Mario Gilbert pour Amazones