Maman a un cancer, Les ados et la maladie de leur mère

Le cancer ne touche pas que les malades. Même s’ils ne sont pas en première ligne, les proches aussi sont affectés. Parmi eux : les adolescent·e·s. Déjà confronté·e·s aux bouleversements de leur âge, comment réagissent-ils quand ils apprennent que leur mère a un cancer ? Qu’éprouvent-ils pendant les mois voire les années que dure le traitement ? Le Mag Amazones a essayé de savoir en organisant une conversation avec trois ados volontaires.

La discussion se tient dans la salle feutrée du Nid Gabrielle, à Fort-de-France. Ils sont trois. Sur le canapé : les garçons. Dario, 19 ans, grand, en tenue de foot et Yoan, 16 ans, tout aussi grand et casquette. À sa gauche, sur le fauteuil : Mélody, 16 ans, mince, les cheveux tirés, un brin timide. Elle est dans le même lycée que Yoan, au Lamentin. Leur point commun à tous les trois est que leurs mères ont traversé ou traversent encore, l’épreuve du cancer. Impossible de le nier. Ça a changé leurs vies aussi…

L’annonce

« Pour ma mère, c’est allé très vite », commence Dario. « On a appris le mardi qu’elle avait un cancer du sein et le vendredi elle était opérée. Je n’ai pas eu le temps de réagir. Le cancer, je ne connaissais pas. C’était quelque chose d’irréel, que je voyais à la télé. C’est après l’opération et le traitement que j’ai réalisé ce que ça voulait dire ».

« Quand elle me l’a dit », poursuit Mélody, « je me souviens très bien, je sortais du collège, mais j’ai fait comme une forme de déni. Je pense que je n’avais pas envie de l’entendre. J’ai fait comme si rien ne se passait. Et c’est quand elle est partie en France pour des soins, la première fois, que j’ai pris conscience. Ça a été dur avec la distance. J’étais chez mon père. J’ai passé beaucoup de jours à pleurer… »

« Moi, quand ma mère me l’a appris » raconte Yoan à son tour, « je n’ai pas vraiment réalisé. J’ai fait comme si le cancer n’existait pas. Et puis, elle est allée se faire soigner en France, et c’est quand on est allé la voir que je me suis dit que c’était vraiment grave. C’était après l’opération, ses cheveux étaient tombés… là j’ai eu peur que ça se passe mal, mais j’ai essayé de ne pas lui montrer. Je n’avais pas envie de lui ajouter ça ».

Les soins

Sur les trois mères, toutes atteintes de cancers du sein, seule celle de Dario n’a pas quitté la Martinique. Mais Dario, lui, était à Barbade dans un cursus d’anglais et de football. « J’ai abandonné pour revenir. Quand je suis arrivé, elle m’a dit de repartir. Elle était triste pour moi, pour le football, mais je trouvais ça normal. C’est la maman avant tout dans la vie, non ? » Dario n’a pas souffert de la séparation, mais il a été marqué par les traces de la maladie et des traitements. « Ma mère m’avait prévenu. Elle m’a dit tout ce qui allait se passer, donc je m’y attendais, mais pas autant. Je l’ai vue perdre 30 kilos, faire beaucoup de cauchemars, perdre ses cheveux… Oui j’ai été choqué. »

Pendant les soins de sa mère, Yoan est allé chez son père en Guyane. Là-bas, il a fait les 400 coups. « Je n’avais plus envie d’aller à l’école, je ne travaillais plus. Au collège j’ai fait pas mal de bêtises. En fait, c’était comme si j’avais perdu ma mère. Je n’en parlais à personne autour de moi. Je n’avais pas d’amis là-bas et je n’ai pas l’habitude d’en parler. Le seul truc : je faisais de la PS4 tout le temps. C’était la seule chose qui me faisait oublier ».

Mélody aussi connaît cet état. « Je n’avais plus envie de rien faire, même pas du sport, alors que je fais de la natation artistique. En juin, ils ont organisé une cérémonie de graduation pour le brevet. Ma mère n’était pas là. J’ai beaucoup pleuré. Elle est revenue en décembre après 6 mois, elle était très, très fatiguée, puis elle est partie encore six mois. La deuxième séparation était encore plus dure. Elle doit repartir en novembre et je sais que ce sera plus dur encore. J’appréhende beaucoup ».

La vie

Pas de doute, c’est une épreuve pour eux aussi. À un moment de transition, de patiente construction d’un adulte qui n’existe pas encore, les ados ont besoin de leurs mamans. Mélody, Yoan et Dario ont été bouleversés de voir leurs mères souffrir, mais déjà, ils en tirent des leçons. « Ça montre la réalité de la vie » dit Dario « et que ça n’arrive pas qu’aux autres. Et puis ma mère a changé. Elle profite plus de la vie. Avant, elle ne vivait que pour son travail, et elle a levé le pied. Je lui dis tout le temps ça, de profiter ! »

« Avant », continue Mélody, « j’avais très peur de la mort et de prendre des risques. J’avais toujours une crainte, même en faisant du sport. Maintenant, je me dis que ce qui doit arriver arrivera. J’ai moins peur. Je vois que ma mère a réussi à s’en sortir, et je me dis que moi aussi je pourrais si jamais j’étais malade. Quelque part, elle est devenue un exemple. Ma mère est une guerrière ! »

Yoan lui trouve que « ça fait ouvrir les yeux sur les épreuves de la vie ». Il a un peu de mal à parler. C’était d’ailleurs la première fois… « Avec les amis, j’évite le sujet. J’essaie de faire comme si ça n’existait pas ». Sa parole commence à peine à s’ouvrir et c’est tant mieux. Le cancer de sa mère est un évènement de l’ordre du traumatisme. Trop bouleversant pour le garder pour soi…

Article de Laure Martin Hernandez