Moune Light

 Moune « LiGht » Mangattale, jeune martiniquaise de 37 ans a appris en mai 2017 qu’elle avait un cancer du sang, aussi appelé lymphome. Moune, c’est une planète où les enfants ont des ailes arc-en-ciel, les petits vieux des sourires magiques, les médecins ressemblent au Dr House et font du moon walk. En cette journée internationale du lymphome, Moune raconte avec une sincérité à fleur de peau, d’âme et de mots, ses combats, ses espoirs, ses éclats de rire… Bienvenue sur la planète Moune !  (Ps : Moune I love u) 

Ki moun ou yé ?

Moune de la lune (rires) ! Je rigole ! C’est mon pseudo sur le net. Je suis moun ici, Moune MANGATTALE, la bien nommée (merci mes parents!). J’ai 37 ans, je suis en couple et j’ai un grand collégien qui aura bientôt 14 ans. Je travaille dans le social à la mairie du Lamentin (Martinique).

Quand apprends-tu que tu as un lymphome ?

Exactement? Le 3 mai 2017. Dans mon témoignage sur le blog « Lymphomes et Cie », je raconte les détails qui ont précédé l’annonce… La conclusion du scanner indiquait une suspicion de lymphome (puisque les enveloppes des résultats ne sont pas scellées…) mais comme je trainais des maux de ventre depuis 2 mois, je pensais à une intoxication complexe suite à l’un de mes voyages… Le 3 Mai, le lendemain de ma première intervention, je fais la biopsie de mes ganglions sous anesthésie locale. Toute seule comme une grande.

Qu’est-ce qu’un lymphome ?

Un lymphome est, pour faire simple, un cancer du sang. Il y en a une vingtaine (d’où la nécessité de prélever des ganglions pour savoir lequel et adapter le protocole). Dans mon cas, les lymphocytes B dits agressifs ont muté dans mes ganglions lymphatiques.

En clair, on a tous des ganglions qui nettoient le sang et nous préviennent quand on a une infection (souvent sous les bras, sous les mandibules). Il y en a dans tout le corps. Les lymphocytes ont muté dans les ganglions de mon ventre (normalement ils mesurent 1,5 cm), les miens étaient entre 5 et 8 cm et j’avais un second foyer au niveau de ma clavicule. Donc mon traitement constitué de 8 cures de chimiothérapie vise à détruire les cellules qui ont muté. Je n’ai pas de métastases… Et la biopsie de la moelle osseuse (deuxième opération) s’est heureusement révélée négative et m’aura évité la greffe de moelle osseuse…

 

« Quand j’annonce mon cancer, il faut que je précise bien:  » c’est un cancer du sang pas du sein !  » « … Ah… « J’ai un peu l’impression de ne pas avoir le bon (sic) »

 

Tu dis parfois que tu te sens un peu seule dans ton parcours de soins en Martinique. Peux tu expliquer pourquoi ?

En fait, j’entendais surtout parler du cancer du sein, de la prostate, des poumons… Mais pas vraiment des cancers du sang (je ne savais pas que la leucémie en était un…). Lorsque j’ai eu le résultat de mon scanner mon médecin m’a orienté vers un hématologue au CHU de la Meynard (un hémato quoi?). Je ne savais même pas ce que c’était… Et je suis mes traitements au CHU, en général, les autres cancers sont soignés au service d’oncologie à l’Hôpital Clarac.

Quand je vais faire ma chimio toutes les 3 semaines, je patiente avec des petits vieux (ce n’est pas péjoratif hein), vraiment gentils qui viennent se faire soigner pour des pathologies depuis des dizaines d’années pour la plupart (un peu comme les dialysés). Je suis la seule « jeune » et la seule en yul! Donc je suis plutôt chouchoutée par les infirmières toujours enclines à me faire des compliments et par mes comparses qui relativisent les annonces avant les traitements…

Quand j’annonce mon cancer, il faut que je précise bien:  » c’est un cancer du sang… pas du sein !  » (presque un homonyme…)… Ah… J’ai un peu l’impression de ne pas avoir le bon (sic)… Alors maintenant je dis que j’ai un lymphome et j’explique…

Trouver les Amazones, ça a été salutaire, même si les traitements sont différents, les effets secondaires, les difficultés administratives, psychologiques sont les mêmes… Et sur le groupe, il y en a toujours une qui me rassure et me propose une solution… Et puis il y a des choses qu’on n’arrive pas à dire, ni à ses proches, ni aux médecins, c’est plus facile de parler à celles qui traversent les mêmes changements… Quand tu ne reconnais plus les réactions de ton propre corps, tu te demandes si tu deviens hypocondriaque, parano ou si ce qui t’arrive est normal…

Au début j’avais trouvé un groupe Facebook sur la maladie de Hodgking (j’ai un lymphome non hodgkinien, je vous passe les détails hein…), où c’est pareil, mêmes effets secondaires, mais pas le même traitement…

Et puis il faut le dire, être malade en Martinique, ce n’est pas pareil qu’en France Hexagonale! On est à des années lumières de la prise en charge et de l’accompagnement qui se font Outre-Atlantique. Je vois des équipes médicales isolées et sans moyens… Sans internet, j’aurais sombré dans la dépression…

Les traitements sont lourds. Quel est ton protocole ?

Je suis une chimiothérapie dite R-CHOP 21 c’est à dire qu’on m’injecte via ma chambre implantable (le truc bizarre qui dépasse, appelé mon 3ème sein par mes frères…., qui permet d’injecter la chimio directement dans une artère, parce que c’est tellement puissant que ça détruit les veines…). 5 produits tous les 21 jours, pour le détail : Rituximab, Cyclophosphamide (Endoxan), Hydroxyadriamycine (Adriblastine), Oncovin (Vincristine), Prednisone (Solupred).

La réalité c’est 3 heures et demie d’injection avec des tas de médocs avant pour te permettre de supporter les effets indésirables : anti douleurs, anti allergiques, anti vomitif… Anti… Anti…

Comment gères-tu les effets secondaires de la chimiothérapie ?  As-tu des trucs et astuces pour celles et ceux qui passent par là ?

Et malgré tous les anti… En fait tu te réveilles chaque jour et tu adaptes ton alimentation parce que les anti ne suffisent pas… Et la prescription médicale, adaptée à chaque cure, non plus…

Quels conseils ? Le premier : ÉVITER LE SUCRE. Il faut le répéter, le cancer (tous les cancers) se nourrit de sucre. Donc quand tu t’empoisonnes pour le tuer… Ne le nourris pas!

Ca veut dire manger des fruits, sucrer avec du miel, du sucre de coco, il y a plein d’alternatives pour continuer à apprécier les gâteaux, les desserts… Parce que moi en plus j’adore ça! Si il ne fallait en retenir qu’un ce serait celui là…

Après ton corps te guide : reflux gastrique? tu deviens végétalienne (no gluten, no laitage, no gras, no épices…) Constipation? Diarrhées? tu adaptes, et franchement en général ta mamie te dit exactement ce qu’il faut manger ou pas… En vrai, tu apprends enfin que bien manger c’est manger des produits locaux, de saison, bien nettoyés et avec mesure. ( Si tu prends ton régime de fibres, de jus d’orange-tamarins trop longtemps… à toi la diarrhée…). Et si Mamie n’est plus là, heureusement qu’il y a google… Moi j’ai remarqué que plus je faisais attention à mon alimentation moins j’avais besoin de prendre des anti en comprimés…

Mais chaque corps est différent.

Mes secrets :

– L’huile de coco pour tous les soins de la tête aux pieds : pour se laver les dents quand l’hypersensibilité dentaire refuse tout dentifrice et en bains de bouche pour soulager les mucines (ça c’est mon traumatisme je refuse de détailler!), les zones intimes aussi (anti sécheresse vaginales, anti hémoroides), pour nourrir les ongles…

– Pour les ongles qui se cassent, se dédoublent, noircissent… bref la loose, un vernis au silicium qu’on trouve en pharmacie (sans nommer de marque ici je n’ai trouvé que La Roche Posay) et avec des tas de couleurs sympas à reposer tous les 3 jours! Moi j’avais des ongles cassants et bien maintenant sous mon vernis  c’est laid mais j’ai de jolies mains! Miracle!

– Pour tuer le cancer (ouais rémission après 3 chimios!) : le corossol! Toute la Martinique s’est relayée pour que je boive un verre de jus tous les jours et une infusion! Mon mennen vini c’était ça! Et si l’hémato croit que c’est sa chimio qui a fait le travail moi je sais que mon corossol l’a bien aidé!

Petite parenthèse apparemment le cumin aussi est généralement recommandé mais dans mon cas il était contre indiqué car il annulait les effets de mon protocole donc… toujours communiquer avec son oncolgue et son médecin traitant…

– Pour tenir le coup : j’ai un homéopathe en or qui écoute religieusement tous mes maux et adapte mes posologies ( pareil on y croit ou pas)… J’ai pris l’une après l’autre toutes les sortes de vitamines  (granodermax, dermacel, spiruline… ) toutes les graines naturelles bien cher qu’on m’a conseillées pour booster mon organisme… En tout cas jusqu’à maintenant j’ai maintenu des résultats d’analyses de sang de personnes en bonne santé…

– Pour le moral : S’ENTOURER, parler, pleurer, rire, faire les choses qu’on aime et sortir du régime pur, se faire plaisir de temps en temps. Je me lève tous les matins, j’enlève mon pyjama, je mets mes boucles d’oreilles… même si je me recouche 30 min après… ÉCOUTER SON CORPS!

Tu es maman d’un ado… Comment lui as-tu expliqué la maladie, les traitements. Comment cela se passe t’il ?

Alors ça c’était le plus dur à gérer psychologiquement. Ado, dans sa bulle… Soupirs…

J’avais pris le parti de lui expliquer ma maladie donc le lymphome . Enfin on mettait un nom sur des douleurs que je trainais depuis quelques temps.  Lors de l’annonce j’étais en bonne santé, un peu fatiguée, mais toujours dynamique, active. J’ai expliqué la chimio comme j’aurais expliqué des antibiotiques en précisant que ce serait difficile, que je devrais aller à l’hôpital, que je serais en arrêt, fatiguée… Mais j’ai dit maladie… Pas cancer.

Et un jour au détour d’une conversation, il entend que sa mère a un CANCER… Cancer pour beaucoup c’est la mort… Il y a eu des pleurs, on s’est assis et j’ai réexpliqué : oui ma maladie est un cancer mais il est guérissable!!!!

Il râle toujours mais il est aux petit soins… C’est le premier à voir que j’ai pleuré… Il s’est privé de foot pour rester avec moi, certains soirs où le reflux m’empêche de me coucher, il est resté voir MES séries avec moi… C’était vraiment des vacances scolaires pourries pour lui mais il est avec moi…

Il a refusé de voir le psychologue, il n’est jamais venu à l’hôpital… Peut-être qu’un jour il me dira comment il l’a vécu… après…

Parlons de ton look. Tu as opté pour un yul flamboyant… perdre tes cheveux, cela a été compliqué ? Des conseils pour celles qui vivent mal cette étape ?

 Mon hémato a été clair : « 10 jours après la première chimio, ils vont tomber, pas la peine d’essayer des casques et des trucs ça va tomber… » Okay! J’ai d’abord coupé mes cheveux très courts (merci Hervé de m’avoir reçue toute seule pour ce moment si particulier…)…

Et puis 15 jours après la 1ère chimio, j’ai 3 cheveux ici et là qui tombent mais ma tignasse elle est solide! Que nenni! Le 17 ème jour, je me réveille , tout le lit est plein de cheveux… Je fais à manger… idem… J’enlève mes lunettes de vue et là… Le drame! J’ai un trou le long de la branche de mes lunettes… Le truc lisse… Je dis à Philippe ( mon compagnon), on rase des 2 cotés! Il passe sa main dans mes cheveux et me montre… « Moune il faut tout raser maintenant. » Je m’assois par terre dans la salle de bain et je pleure… Il passe la tondeuse, il finit au rasoir… Voilà!

Après mes 2 frères me tombent dessus : « C’est n’importe quoi tu devais nous dire quand tu rasais »… Du coup pensum, le dimanche d’après réunion de famille, je rase leurs deux têtes! On rigole, on compare nos crânes… Et je me sens moins extraterrestre!

J’ai fait l’atelier Maré Tét avec Emmanuel Soundjata, un vrai moment de plaisir… Mais ça me chauffe… Et j’aime les chapeaux…

Un conseil : ne jamais oublier ses BO, porter un chapeau sympa, ou porter de superbes boucles d’oreilles de toutes les créatrices locales qui nous font des pièces uniques! C’est la classe ! Et sourire! Ça rassure les gens!

Alors mon truc beauté parce que mes lèvres se dessèchent beaucoup, c’est mettre un baume à lèvre adapté et colorier au crayon à lèvre ensuite. Comme il faut se protéger des UV mois j’ai un baume anti UV… Et toutes les couleurs sont possibles!

J’avais aussi opté pour le maquillage permanent des sourcils (en même temps que la coupe de cheveux), je suis déjà nulle en maquillage, si j’avais dû les dessiner, on aurait bien rigolé…

Tu es aussi une amoureuse du sport… En fais-tu ? Et que dit la médecine là dessus ?

Alors oui avant je faisais du trail et du triathlon… Et puis le médecin m’annonce que le sport est recommandé mais qu’il ne faut pas m’essouffler… J’ai failli étouffer… et que la marche c’était parfait! J’ai fait du home trainer (vélo d’appartement mais je m’essoufflais donc j’ai arrêté) et j’ai cherché… Sur internet la gym douce et le yoga sont recommandés mais pour éviter les infections il faut éviter les lieux publics ou les regroupements de personnes dans une salle… Soupirs…

Sur You tube, il y a des tas de cours de tous les niveaux : yoga, médiation (c’est indispensable quand on stresse, en cas de palpitations), gym… À ton rythme… Pour celles qui sont autonomes et suffisamment motivées c’est top!

Nager c’est parfait également mais pareil pour éviter les infections en traitement nous sommes interdites de piscines municipales. Du coup on y va en mer, accompagnées , protégées du soleil..! Je recommande de prendre des palmes pour avoir la sensation d’être encore OP et une frite pour les moins aguerries. On nage toujours en parallèle de la plage (pas vers le large) et à la limite de là où l’on a pied!

Après c’est l’occasion de marcher avec les copines et de prendre des milans (toujours un peu tard pour éviter le soleil)… Et puis un jour je n’ai pas résisté, j’ai été marcher toute seule et puis… J’ai essayé de courir… Ben…  je cours à peu près 7 ou 8 km quand je suis bien sans m’essouffler. Mais CHUUUUUT mon hématologue est contre…

Du coup j’ai cherché, cherché, il y a le médiété (du sport adapté pas encore disponible ici). Et pour les copines soignées pour le cancer du sein nous avons un entraineur Miguel Baroudi, maître d’escrime qui s’est formé pour des séances spécifiques… Je pense qu’on ouvrira le débat à la Villa Woz

Et j’ai trouvé, à l’Aiglon, l’ouverture pour cette rentrée d’une section de marche nordique (avec les bâtons) qui, ô bonheur, est recommandée sous chimio! Donc je vais tester pour les Amazones… A suivre…

J’ai un travail de fond, avec mon hémato, à faire mais avec l’aide du Dr Depiesse, médecin du sport spécialisé dans le sport adapté et entraineur , je suis sûre qu’on va le convaincre…

Tu es suivie sur les réseaux sociaux et beaucoup de femmes te remercient de poster des photos de toi, aux différentes étapes de ton parcours. C’est important de communiquer sur cette maladie ? De lever les tabous ?

Alors à partir de l’annonce tout va très vite, et je n’ai pas vraiment communiqué. Puis au fil du temps et avec la yul radicale et brusque, les gens ont commencé à s’interroger. Certains de mes amis ont vécu l’annonce de façon brutale. Et moi j’ai demandé à tous mes proches de communiquer pour que j’évite de gérer l’émotion des annonces… Et c’est comme ça que ça a commencé…

J’ai réalisé au fil de mes échanges, de mes recherches que mon cancer était inconnu, que les gens considéraient le cancer comme un désastre. Alors que pour supporter les traitements il faut avoir le moral. Autour de moi les personnes me remerciaient de mon attitude…

Et j’ai compris que ma maladie devait servir… Qu’il fallait qu’on sorte de nos chambres, des lits d’hopitaux, des mouroirs… Aujourd’hui beaucoup de cancers se soignent très bien, on découvre la maladie à n’importe quel âge, certains (surtout dans les lymphomes) luttent toute leur vie contre le cancer…

Alors,  j’ai choisi de communiquer de refléter une autre image du cancéreux, je suis belle (je défile et je fais des shootings). J’ai des moments difficiles mais la vie continue… Je suis au ralenti mais active… Evidement je ne fais pas la fête comme avant, je me repose beaucoup mais c’est un moment de ma vie où j’ai l’opportunité (je pèse les mots positifs) de prendre le temps pour l’essentiel!

Aujourd’hui, c’est la journée internationale du Lymphome… Que souhaites tu faire passer comme message à ceux qui passent aussi par là en ce moment ?

Aujourd’hui j’ai pleuré en imaginant tous ceux qui sont au début du processus ou ceux qui rechutent…

Je voudrais que tous mes proches réalisent que ça n’arrive pas qu’aux autres, d’écouter leur corps, de faire les examens que leurs médecins leur prescrivent et rapidement. Plus on détecte tôt les cancers plus on a de chance de guérir!

Je dirais juste à tous ceux qui luttent une phrase que mon oncle, qui est passé par là, m’a dite après mon annonce : « A partir de maintenant c’est comme si tu conduisais une voiture sans rétroviseur. Tu regardes toujours devant! »

© Mario Gilbert pour Amazones I Moune Mangatale